Nous avons décidé avec Elsa de partir cette été dans le Ladakh, région de l’état Indien du Jammu–Kashmir située tout au nord de l’Inde, sur le côté occidental de l’Himalaya.
Au programme un trek de 11 jours dans les environs de Leh, capitale du Ladakh et éventuellement une expédition de 3 jours (sans Elsa) pour l’ascension du Stok Kangri qui domine du haut de ses 6153m le grand désert d’altitude que forme le Ladakh.
Le séjour débute plutôt mal et dès la première nuit à Leh (3500m) , je suis sujet à des dyspnées m’interdisant tout sommeil.
Petit séjour à l’hôpital pour ce début de MAM (mal aigu des montagnes) pour y prendre Diamox, diurétiques et oxygène.
La consultation et les soins me coûteront 2 roupies (1,6 cent d’euro).
Suit ensuite une période de quelques jours d’acclimatation nous permettant de visiter les très nombreux monastères perchés un peu partout dans les vallées.
La chaleur est impressionnante et l’air est d’un sècheresse incroyable.
En veillant à beaucoup boire, nous nous adaptons finalement et grâce à notre horseman et ses 6 chevaux, Ramesh notre cuisinier et Kumphel notre guide Tibétain nous traversons cols et vallées.
Le minéral règne sans partage dans des palettes de couleurs insoupçonnables.
Nous mangeons peu et diététique (légumes, riz, soupes, pas de viande, pas de gras, pas d’alcool) et notre tour de taille s’affine de jour en jour.
Confort et hygiène sont plus que précaires, mais nous nous y résolvons.
Traverser les « gués » équivaut à traverser le Zambèze et passer un col à escaler une échelle de pompier interminable.
Mais la forme me revient rapidement me permettant de passer des cols à plus de 5000m sans difficultés.
Mais en haute altitude rien n’est acquis.
Dix jours après le départ me voilà à nouveau en détresse respiratoire à 4000m sans aucune raison.
Je tombe comme une masse et Elsa appelle un paysan pour me trainer jusqu’au tea point situé 100m plus loin.
Œdème pulmonaire ? Si c’est le cas il faut descendre.
Je préfère rebrousser chemin et écourter le trek de 2 jours, car demain nous devons dormir à 4900m et passer un col à 5300m.
Elsa de son côté, ne ressent aucun problème lié à l’altitude, et seules les marches interminables sous la chaleur écrasante la contraignent à un rythme adapté.
Le soir même tout est OK, … sauf le moral, mais nous devons continuer à rebrousser chemin jusqu’à Chiling et reprendre le trolley au-dessus de l’impétueux Zanzkar et dont Elsa ne raffole pas du tout.
Deux jours plus tard, retour à Leh, douche, repos en attendant le départ pour Stok.
Présentation de John, mon guide d’expédition assisté d’un horseman et 4 chevaux et Ramesh mon fidèle cooker.
Au programme :
• Jour 1 : Stok (3600m) , camp de base (5000m) (7/8h)
• Jour 2 : Camp de base – Sommet (6153m) – Camp de base (12/13h)
• Jour 3 : Camp de base – Stok (6/7h)
Le programme habituel est de 4 jours avec un jour d’acclimatation de plus au camp de base, mais notre emploi du temps ne le permet pas, il a fallu l’écourter.
Ça m’arrange parce que les nuits à 5000 c’est pas mon truc …
La veille du départ je passe une nuit blanche, déjà tiraillé par l’angoisse.
Nous voilà partis.
Nous remontons le lit d’une rivière.
De temps en temps nous montons une centaine de mètres au-dessus de la rivière car le lit n’est pas praticable.
Quatre plus tard nous sommes au camp de base.
A cette altitude les chevaux dorment couchés et moi … pas du tout.
Je réveille Ramesh à 11h pour qu’il prépare le petit dèj. et le « lunch pack ».
L’eau du black tea est rose, à cause des limons dissous de l’eau de fonte.
Départ à minuit quatre.
La nuit est noire, il n’y a pas de lune.
La montée est raide et je me force à marcher lentement en suivant John.
Nous montons quand même à 600m/h et je me dis qu’à cette allure ça va être réglé rapidement.
Le froid comme à se faire sentir.
Ma poche à eau s’est gelée.
Ça redescend.
Nous traversons un glacier.
John me dis que c’est dangereux car nous sommes au-dessus d’un lac et qu’il y a de nombreuses crevasses.
Je n’y vois rien mais imagine le pire, pensant au Vatnajökull en Islande et ses rivières de surface qui disparaissent avalées dans d’énormes entonnoirs de glace vive …
La pente devient raide, nous gravissons un immense pierrier fait de petites lauzes, rendant la progression très pénible.
Nous passons à côté d’un petit replat et John m’explique que c’est l’advanced base camp à 5300m où une seule temps peut tenir.
Je regarde mon altimètre, nous montons maintenant à 400m/h, nous sommes à 5500m.
John m’oblige à m’arrêter toutes le minutes.
Traversées de glace, montée, descente pour chercher un chemin.
Je ne sais même pas de quel côté du Stok Kangri nous sommes.
La tête me tourne de plus en plus.
Je grelote, c’est ma troisième journée sans dormir.
Je m’oblige à manger une barre toute les heure et je bois dans la gourde que j’ai fixée sur l’extérieur du sac de John car j’avais pressenti le gel de ma poche à eau.
J’ajoute un sous vêtement en doudoune, mais le froid me prend tout le corps et je ne sens plus les doigts de mes mains.
J’ai le souffle de plus en plus court, je perds l’équilibre … et le moral.
John s’en aperçoit et me réconforte : « You can do it »
Je regarde ma montre, 5800m 200m/h.
La pente est à 55°, la progression se fait avec les mains.
Je vois du noir à gauche, à droite, je n’ai aucune idée de la taille des précipices qui nous entourent, mais je me les imagine aisément.
Putain qu’est-ce que je fous là !
J’ai l’impression que je suis en train de crever.
John m’inspecte, et me demande en me tâtant les jambes : « Do you have power ?
La force c’est OK, c’est la tronche qui va pas …
« You see the ridge, two hundred meters after is the summit ! »
Je devine la masse sombre de l’arête qui se découpe.
Je regarde ma montre et ne comprends rien aux chiffres qui sont dessus.
Il fait toujours nuit et je ne pense qu’à mettre un pied devant l’autre, et recommencer.
Je me tiens sans arrêt pour ne pas tomber, mais la roche se délite.
Le temps s’arrête.
Un pied, l’autre pied.
Un pied, l’autre.
Je n’y arriverai pas, c’est impossible.
Un pied, l’autre pied.
Une lueur apparaît, l’aube ne va pas tarder.
Nous sommes maintenant à nouveau dans la neige et la glace.
Tout à coup, j’aperçois des drapeaux et immédiatement je suis pris de sanglots incontrôlables.
Nous arrivons, c’est incroyable, c’est fini !
John se jette sur moi, il est 5h21.
« Five hours twenty, congratulations ! It’s my forty second ascent ! » me dit-il ravi.
First and certainly the last one for me … pense-je.
Il fait encore nuit mais on distingue déjà l’horizon et le K2 (8611m) qui s’en détache au NE.
John m’oblige à redescendre : « Ten minutes on top maximum ».
Nous croisons avant l’arête une cordée qui monte, ils n’en n’ont plus que pour une heure ou deux de supplice pensai-je.
A 8 heures nous arrivons au camp de base en courant, nettement en avance sur l’horaire.
Ramesh me prépare two eggs fried one face sur un chapati.
Je me repose une heure et nous redescendons rapidement sur Stok.Finalement cela aura pris à peine plus d’un jour, mais quelle épreuve !
En rentrant à Leh, je m’aperçois que mon genou droit est énorme.
Un œdème qui se tranformera en hématome et qui noircira toute ma jambe.
J’espère que mes ligaments n’ont pas trop soufferts.
Nous rentrons ensuite sur Delhi, où nous avons réservé une chambre dans un palace.
Enfin du confort !
Le Trolley

Le Stok Kangri

L'équipe : à ma droite, Ramesh le cuistot et à ma gauche, le horseman et John, mon guide du Darjeeling

5h21 sommet du Stok Kangri (6153m)
